La prévention du terrorisme au Bénin et au Togo doit être fondée sur des données probantes


Depuis 2016, la menace liée à l’extrémisme violent est une source de préoccupation pour le Bénin et le Togo. Les groupes extrémistes violents continuent de mener des attaques dans des zones proches des frontières que ces pays partagent avec le Burkina et le Niger, voire sur leur territoire même.

Il s’agit par exemple de l'enlèvement de deux touristes français et de l’assassinat de leur guide local, en mai 2019 dans le parc de la Pendjari, au Bénin, puis de l’attaque du 9 février 2020 contre un commissariat de police à Kérémou, toujours au Bénin, près de la frontière avec le Burkina.

La compréhension des causes et des dynamiques qui sous-tendent l'extrémisme violent reste limitée chez la plupart des acteurs de la société civile et des médias des deux pays. Leurs perceptions ne sont pas fondées sur des données probantes, tout comme leurs connaissances des acteurs à l’origine de cette insécurité, de leurs objectifs, de leurs stratégies d’implantation, ainsi que de ce qui motive ou conduit certains individus à s’associer à des groupes extrémistes violents.

Cette compréhension partielle du phénomène se reflète dans la conception des initiatives de prévention et de lutte contre l'extrémisme violent mises en œuvre par ces acteurs. Ces initiatives ne traitent pas des causes et facteurs de vulnérabilité de l’extrémisme violent et ne permettent pas non plus de renforcer la résilience des communautés locales.

La contribution des médias à la prévention de l’extrémisme violent au Bénin et au Togo demeure sous-exploitée
Les acteurs de la société civile sont au contact direct des populations et disposent généralement d’une bonne connaissance de leurs environnements. Les instances gouvernementales de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent au Bénin et au Togo devraient tirer profit de ces atouts en renforçant la collaboration avec ces acteurs.

Dans les deux pays, l’extrémisme violent est largement perçu comme une menace provenant avant tout de l'extérieur. La vulnérabilité du Bénin et du Togo résulterait de leur proximité avec le Burkina, le Niger et le Nigeria, où maintes attaques attribuées ou revendiquées par des groupes extrémistes violents ont été enregistrées depuis plusieurs années.

La religion est également considérée comme un vecteur d’implantation de l'extrémisme violent, probablement du fait que les groupes extrémistes violents y font fréquemment référence dans leurs messages et leurs stratégies de recrutement. La rhétorique adoptée par les groupes extrémistes violents, empreinte de références religieuses, apparaît aux yeux de la plupart des acteurs de la société civile et des médias comme le principal trait caractéristique, identifiant et mobilisateur de ces groupes. La prolifération de mosquées et d’écoles coraniques dans les régions septentrionales du Bénin et du Togo est ainsi perçue comme un signe précurseur de l’extrémisme violent.

Les éleveurs transhumants et les bergers appartenant à la communauté peule sont perçus comme des collaborateurs des groupes extrémistes, voire assimilés eux-mêmes à des extrémistes. Ils seraient ainsi en position d’offrir des possibilités d'infiltration dans les États côtiers aux groupes extrémistes violents. Les conditions socio-économiques, notamment la pauvreté et le chômage, sont également perçues comme des facteurs facilitant l'émergence du terrorisme dans le nord du Bénin et du Togo.

La participation de la société civile doit aller au-delà de la simple nomination de représentants aux comités
La plupart de ces perceptions ont été recueillies lors d’ateliers organisés par l'Institut d'études de sécurité et les branches nationales du Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix, en 2020, à l’endroit de la société civile et des médias au Bénin et au Togo.

La majorité des acteurs de la société civile et des médias méconnaissent les dispositifs institutionnels mis en place au niveau national pour faire face au phénomène. Il s’agit notamment du Comité interministériel de prévention et de lutte contre l'extrémisme violent (CIPLEV) au Togo, et du Comité de haut niveau pour la lutte contre le terrorisme et l'insécurité aux frontières (CLTIF) au Bénin, ainsi que de l'unité chargée de sa mise en œuvre.

La place accordée à la société civile dans ces dispositifs varie en fonction des pays. Au Bénin, le CLTIF est une structure étatique composée exclusivement de responsables de l’administration appartenant majoritairement aux secteurs de la défense et de la sécurité. Au Togo par contre, le CIPLEV comprend deux représentants de la société civile et trois représentants de différentes confessions religieuses (catholique, protestante et musulmane).

Une représentation de la société civile est également prévue au niveau des comités locaux du CIPLEV, ainsi que des représentants d’organisations de femmes, de jeunes, de personnes handicapées, et de différentes confessions religieuses. Toutefois, la réelle représentativité des personnes désignées et leur contribution aux actions du CIPLEV suscitent très souvent des questions.

La société civile devrait être placée au centre de la conception et de la mise en œuvre des réponses à l'extrémisme violent
Afin que la société civile et les médias puissent jouer un rôle significatif, il est indispensable qu’ils disposent d'informations précises sur l'extrémisme violent.
Quant aux médias, hormis la présence d’un représentant de la presse prévue au sein des comités préfectoraux de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent au Togo, leur place au sein du dispositif est presque inexistante. Leur contribution à la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent, notamment à travers le journalisme d’investigation, les actions de sensibilisation, l’animation de débats et d’échanges sur le phénomène, demeure sous-exploitée.

Malgré l'importance des médias, particulièrement de la radio, comme relais de l'information et de l'opinion, en particulier dans les régions reculées, ils n'ont jusqu’à présent été utilisés que pour faire connaître les dispositifs étatiques.

L’implication de la société civile doit aller au-delà du seul fait de désigner des représentants au sein des dispositifs étatiques en place. Ces acteurs devraient être placés au centre de la conception et de la mise en œuvre d’actions sur le terrain, au plus près des communautés, et devraient également être associés au suivi et à l’évaluation de ces projets.

La contribution active de la société civile et des médias peut permettre une meilleure sensibilisation et mise en œuvre des initiatives gouvernementales. Une participation effective de ces acteurs devra s’accompagner de davantage d’initiatives de renforcement des capacités visant à leur permettre de développer une meilleure compréhension du phénomène de l’extrémisme violent, de sa nature, des acteurs, des dynamiques qui l’alimentent et des vulnérabilités aux niveaux local et national. Elle doit également promouvoir une meilleure compréhension des dispositifs étatiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent existants.

William Assanvo et Ella Jeannine Abatan, chercheurs principaux, et Michaël Matongbada, chargé de recherche, ISS Bureau régional de l'Institut d'études de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Cet article a été réalisé grâce au soutien de l'Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), du Centre de recherche pour le développement international (CRDI) et du ministère des Affaires étrangères du Danemark.

 

 

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